A la lettre ! Lacan & Derrida, histoire d'un malentendu
Désaffiliation et retrait de l’activité : se désengager pour rester engagé ?
La constitution de l'Europe :
la critique habermasienne de la construction européenne analysée au prisme de la théorie de la Reconnaissance
L ' « immigré » : une catégorie d’analyse pertinente ?
Quelle utilité peut revêtir un tel concept pour les sciences sociales ?
Un genre de différence : de la coupure et du Réel, des ordres symboliques et de la différence imaginaire.
Pourquoi la théorie du Genre ne manque pas la différance sexuelle
(sur le statut ontologique des rapports de domination)
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Le sentir paradoxal : les sensations comme ouverture au langage
(l'antécédence de l'Ouvert à l'égard du langage saisi dans sa dimension synchronique)
- Théories et cliniques psychanalytiques -
Bien que largement contredite par les sciences humaines et sociales et les recherches philosophiques contemporaines, une idéologie demeure dramatiquement en vogue, et nombreux sont ceux qui pratiquent à son égard une forme de déni, contraints d'accepter d'un côté les preuves accablantes de l'échec de la théorie tout en continuant d'en assumer illusoirement les prétendues conséquences dans le champ pratique – moral, économique, politique... Une telle idéologie – l'Individualisme – prétend que l'Homme serait avant tout une conscience dont la liberté s'apparenterait à un désengagement radical, et que ce ne serait que secondairement que cette liberté ferait le choix rationnel de ses engagements, de ses croyances, de ses désirs. L'Homme serait donc primairement, essentiellement, une substance autonome – la Res cogitans cartésienne – et se lierait au monde, ressentirait, entrerait dans le langage et la langue, dans Lalangue, en quelque sorte par accident.
0r, contrairement à ce que prétend l'Individualisme, l'Homme n'est jamais ni ne peut être une tabula rasa : il est même, on le sait au moins depuis Husserl, par définition, structurellement, essentiellement tout le contraire d'une conscience séparée du monde, qui s'imprégnerait seulement secondairement de sensations provenant de son extériorité. La relation est première, l'Homme toujours-déjà engagé, toujours déjà présent au monde, un être-là-avec – c'est à dire qu'il est toujours-déjà au-monde et toujours déjà là-avec-l'autre (et l'Autre !). L'enfant à naître n'est-il pas, ainsi que le dit Lacan, dès avant sa naissance, « déjà, de bout en bout, cerné dans ce hamac de langage qui le reçoit et en même temps l’emprisonne » ? Pour le moins, l'Homme naît dans le langage : toujours-déjà pris dans ce filet que constitue pour lui le Signifiant – à la fois un étau et un socle, qui ouvre en la bornant l'existence du sujet de l'Autre.
L'Homme ne vient jamais au monde préalablement à toute expérience : « exister, pour nous c'est sentir » disait fort justement Rousseau. Dès sa venue au monde, l'être humain éprouve des sensations. Sitôt qu'il est jeté à l'eksistence, il l'est déjà sous la modalité du sentir, modalité qui doit alors se comprendre non comme simplement existentielle – contingente – mais existentiale – nécessaire, participant de la structure ontologique de cet être singulier que Heidegger nomme Dasein, et Lacan, Parlêtre : LOM.
LOM, DaSein, l'être-humain en tant qu'il est toujours-déjà un être-au-monde, est d'emblée et jusqu'à la fin de son eksistence jeté au monde sous le mode du sentir – et ce avant-même de l'être sous le mode du parler. En quoi l'entrée de LOM dans le langage est-elle elle-même préparée par, et conditionnée à cette structure sensitive ou perceptive du sujet ? En quoi les sensations ouvrent-elles l'Homme au langage ? N'y a-t-il pas dans le sentir déjà une structure linguistique, ou à tout le moins pré-linguistique, et déjà symbolique ?
Les sensations, en effet, ne doivent-elles pas se comprendre comme ce par quoi toujours déjà s'esquisse la symbolisation, une marche qui fait se tenir l'Homme, dès sa venue au monde, à l'entrée du langage, à l'orée du Symbolique, donc du Réel, en tant que déjà il s'y divise, préparant à ce qu'il s'y dit-vise – là où le Réel s'absente, condition de sa représentation, de lalangue ? Pour le dire autrement, les sensations ne traduisent- elles pas un Sentir originaire constituant la condition existentiale du Parlêtre comme Dasein ? Avec les sensations, en effet, il semble que nous soyons déjà dans quelque chose de l'ordre de la trace.
Les sens préparent le sens, permettant l'entrée dans la signification qui à la fois ouvre et borne le sujet, l'eksistence dite subjective : les sensations se situent dans ce battement que Bernard Salignon nomme « l'entrouvert », et qui renvoie évidemment à ce par quoi Heidegger définissait l'Homme, DaSein, comme clairière de l'être.
Dans la sensation se donne, en s'y occultant, la présence existentiale à l'objet qui précède et fonde la possibilité de l'ob-jet, de l'objectivité-objecvtivation, l'absentification fondant la re-présentation qui prépare la constitution de la représentation mise en langue, en mots et partageable. Il faut déjà qu'une condition sensitive commune soit partagée, un être-ouvert essentiel, une ouverture ontologique ou un apparaître qui puisse fonder l'apparition, la présence sur fond d'ab-sens de l'étant – il faut qu'il y ait une ouverture sur le mode de l'absence, de la distanciation du monde pour que le monde puisse être re-présenté. La sensation assume primitivement cette fonction ambivalente que développe le langage.
Qu'est-ce en effet qu'un objet sinon une trace le reste d'un manque – ce que pose devant elle l'ob-jectivation, et que poursuivant nécessairement son chemin elle laisse toujours déjà derrière elle ? La chose assimilée à tort à l'objet en-soi n'est-elle pas d'abord et toujours un ensemble structuré de qualités perçues, et qui se donnent toujours dans une ambiance existentielle teintant ces expériences ? « Aux choses mêmes ! » dit Husserl : la métaphysique a tant cherché la Substance sous les propriétés dites secondes qu'à force d'éplucher son oignon elle s'est trouvée avec un vide au creux de la main : une absence – ou une AbSens, qui fonde la possibilité d'une présence comme faire-sens. La métaphysique s'achève dans le Nihilisme e Heidegger a bien vu que cette fin est en réalité le point de départ d'une ontologie critique, existentialiste. Celle-là-même qui inspira tant Lacan. Que reste-t-il alors de la chose ? Qu'y a-t-il derrière ou plutôt au cœur du phénomène ? Sa phénoménalité, laquelle doit se comprendre comme l'envers de l' intentionnalité essentielle de la conscience. 0r comment doit se comprendre cette intentionnalité ontologiquement nécessaire de la conscience ? N'est-ce pas là la structure linguistique et sensitive de LOM qui se dé-voile derrière le mot et la sensation, ou dans l'intimité de l'être, sa clairière ?
Qu'est-ce qui ouvre la clairière de l'être et fonde l'eksistence comme être-ouvert et apparaître, sinon la lumière qui vient révéler, et ce faisant dessiner les contrastes ? De quelle lumière parlons-nous ?
Freud définit le sentir comme excitation venant du dehors, contraignant, dit Lacan, à sa mise à distance. La donation du dehors est en même temps sa mise à distance, et c'est ce nécessaire jeu d'approchements et de distanciations se donnant ensemble – le jeu de la Différance dont parle Derrida, et qui structure la condition humaine – que le langage doit permettre de gérer, d'approprier. Mais ce faisant, il est alors aussi ce qui rend possible les jeux névrotique, pervers et psychotique – et l'autisme : produisant la conscience réflexive, lalangue produit du même coup son envers, l'inappropriation ou l'inadéquation de soi, la dialectique inappropriée du Moi et de l'Inconscient, telle que la structure la double spécularité d'un non-rapport instituant que Lacan a appelé le stade du miroir. Lévi-Strauss le dit : l'on ne peut produire un signifiant que par différenciation structurante – structurale – c'est à dire qu'en produisant l'endroit, on produit nécessairement l'envers, l'on introduit une séparation, une coupure, une dit-vision de ce qui était uni dans la confusion. La clarté dissipe l'ombre en produisant du contraste. Cela nous est d'abord imposé par notre nature sensitive et nos déterminismes culturels conditionnent les modalités existentielles de ce jeu de réflexions par lequel tout à la fois le langage nous aliène et nous donne la possibilité, dans une certaine mesure – et précisément en assumant cette mesure – d'approprier. C'est à dire qu'il nous donne les moyens réflexifs / linguistiques d'approprier ce jeu, mais aussi que ce faisant il nous aliène à lui-même et nous approprie à l'Autre. L'institution dialogique et réflexive du sujet ne peut se faire que sur le fond de l'assomption de cet assujettissement toujours déjà là à l'Autre.
La Différance comme jeu structural-structurant de la répétition différente est la condition linguistique même de LOM. Et cette constitution linguistique du Parlêtre est d'abord une constitution sensitive : il n'y aurait de langage, ni donc de langue, sans la sensation, pas de représentation sans la perception, qui en est donc la condition certes non suffisante mais bel et bien nécessaire – autant pour la Raison pure, que critiquait déjà Rousseau.
La réalité, telle qu'elle se donne à nous dans un mouvement qui est toujours-déjà aussi celui par lequel, ouvrant le monde, l'on s'ouvre au monde, est toujours déjà du sentir. Et certes se sentir est-il structuré par le langage et la langue dans lesquels le sujet ne peut manquer de venir, mais cette possibilité de s'inscrire dans lalangue est elle-même conditionnée par la constitution perceptive du sujet : il faut pour parler qu'il puisse sentir. La Raison sans les sensations serait, Rousseau l'a bien montré, une structure monstrueuse tournant à vide : une puissance de calcul sans matériau, sans rien à calculer – qui donc ne permettrait aucune praxis, aucun agir. Mais LOM n'est pas une pure rationalité : qu'il soit ancré dans le symbolique signifie que toujours le Signifiant, la Raison comprise comme dialogique, communicationnelle, primairement linguistique, c'est à dire métaphorique et métonymique, traite des données, dit quelque chose. Si l'on parle en effet, c'est que l'on a de quoi parler. Si l'on pense, c'est que l'on a de quoi penser. Mais pour avoir de quoi, pour avoir quelque matière à penser, à parler, il faut déjà posséder la structure ontologique du sentir : pour qu'il y ait quelque chose qui soit senti ou perçu, il faut que l'Homme soit constitutivement, existentialement, essentiellement, nécessairement un être-ouvert sur le mode primitif du sentir, pour que le mode plus développé du représenter qu'est le parler ou le penser conceptuel puisse s'édifier – il faut qu'il soit étayé sur
la structure perceptive de l'être-Homme comme eksistence, projectivité (être-jeté-là). C'est à dire que les data sensibles dont parlent les empiristes ne sont pas premières, mais se tiennent d'une constitution perceptive antérieure qui traduit la structure existentiale originaire du Sentir. Ce qui s'expérimente, en effet, montreront les phénoménologues, c'est, au delà du perçu et antérieurement à lui – sur le plan d'une temporalité synchronique – une structure de l'expérience qui est une structure ontologico-existentiale du parlêtre en tant qu'il se soutient du sentir. DaSein, dit Heidegger, ne peut parler que d'un là (Da) constitutif de son être (Sein), et n'a de là que parce qu'il est structurellement ouvert, un être-là (c'est à dire toujours aussi un être-là-avec), un être-au-monde.
La sensation apparaît alors quasi ment comme déjà métaphorique – un glissement – voire métonymique : elle fait entrer l'en-dehors dans l'en-dedans et réciproquement, inclue le corps dans le monde et le monde dans le corps en excluant le Réel du Réel, de sorte que, déjà le Réel s'y s(tr)u(c)ture, que s'y noue la possibilité de métaphoriser ou condenser, et de déplacer – c'est à dire de produire du sens, qu'émerge lalangue sur le fond de cette forme plus archaïque de renvoi.
Avec la sensation comme approchement et distanciation d'abord non maîtrisés du monde s'ouvre la possibilité, réalisée par ou avec le langage, de choisir l'acceptation ou le refus, l'engagement ou le désengagement, le parler ou le faire-silence. Mais se désengager, esquiver le parler, c'est toujours déjà réaliser un mode de l'engagement nécessaire, car essentiel, du parlêtre : s'inscrire dans la parole à laquelle l'on ob-jecte. L'Homme est toujours-déjà engagé et ne peut choisir que secondairement le retrait : Heidegger indiquait que l'être-seul est toujours un mode de l'être-avec.
C'est dans ce choix qui apparaît comme possibilité d'assumer son engagement ontologico-existential, en en appropriant les modalités ontiques, que s'amorce ce qui pourra devenir une subjectivité, sur le fond d'une intersubjectivité – que traduit bien mal ce terme d' « inter-subjectivité », comme s'il était mis en présence secondairement deux sujets primairement constitués comme tels, tandis que c'est bien d'un non-rapport dialogique instituant la $ubjectivité qu'il nous faut parler. Ce que nous nommons « Dialogique » n'étant certes pas une logique des deux, mais bien la pas-tout du Logos. C'est à dire que ce sur quoi se fonde la possibilité d'un être-soi, est un être-ouvert originaire, une ouverture à l'autre traduisant l'ouverture du monde qu'est le $ujet, l’inscription toujours déjà là de ce dernier en l'Autre, qui est première et s'appuie quant à ses modalités intramondaines autant sur une culture commune que sur une commune sensitivité. 0r, Heidegger nous révèle qu'un tel être-ouvert ontologique, par définition, ne se produit jamais qu'en s'occultant de ses modalités ontiques, ne se donne jamais « pur » : il n'est d'engagement sans que l'on se trouve engagé dans quelque chose. Ici, ce « quelque chose » dans lequel se trouve de prime abord, depuis toujours et à jamais le sujet de la dit-vision, n'est pas une chose, mais bien le lieu de l'Autre.
Ce que nous nommons bien mal « subjectivité », alors, nous dit B. Salignon, « ne trouvera sa forme accomplie que si ce pouvoir [faire taire ou accepter] est dialectisé avec le non pouvoir quant aux excitations internes », de telle sorte que le sujet ne soit ni submergé ni radicalement coupé ou séparé du monde, au point qu'il ne pourrait plus y revenir (ainsi de la psychose cette incapacité à gérer la distance et ainsi à approprier le pouvoir-être – au-monde).
L'on n'éprouve pas primitivement des sensations parce que celles-ci seraient déposées dans l'esprit ou l'organisme, lesquels seraient originairement des réceptacles vides et substantiellement isolés. Il faut au contraire que l'être du Dasein soit le Dasein lui-même comme être-là, être-ouvert, c'est à dire en tant qu'il est toujours-déjà présent au monde sur le mode du sentir. Le corps est essentiellement sensitif, l'esprit essentiellement perceptif ; tous deux ne font qu'un – Fichte n'écrit-il pas que le corps est le lieu ontologique du Moi ? – et ne sont rien d'autre qu'un nouage singulier du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique, c'est à dire d'emblée et toujours un rapport du monde au monde, rapport linguistique et primairement perceptif. Ainsi que le dit Heidegger, l'on n'entend pas parce que l'on a des oreilles : l'on a des oreilles pour entendre, parce que l'on désire voir et entendre. Fichte l'écrivait déjà, et Heidegger l'a repris en cela : l'organe auditif (l'oreille), le sens externe de l'audition, n'est que le prolongement ou la transposition d'un sens interne que nous nommons l'entendre, et qui procède lui-même d'une sensitivité essentielle de l'être : le Sentir. Une telle idée doit se comprendre en un sens métaphysique et non chronologique, à l'image du récit freudien de Totem & tabou, ce « mythe scientifique » qui décrit la condition existentialo-linguistique de l'être-Homme et non, comme on l'avait cru (Freud le premier !), un récit historique – gardons-nous donc de l'interpréter
comme quelque finalisme : il ne s'agit pas de prétendre que l'oreille de l'Homme a été placée là par quelque volonté toute-puissante qui aurait ainsi répondu à son désir d'entendre, mais bien de comprendre que l'oreille ne peut entendre, l’œil ne peut voir que parce que l'Homme est disposé à voir et entendre. Il n'entendrait ni ne verrait qu'il sentirait autrement, mais toujours il sentirait. Cet existential du sentir est dès-lors par rapport à ses modalités existentielles (entendre, voir, sentir ceci ou cela avec telle ou telle disposition affective), ontologiquement premier, quoique il ne puisse jamais l'être chronologiquement puisque le propre du sentir est que toujours il sent quelque chose. C'est ce que signifie l'intentionnalité essentielle de la conscience décrite par Husserl : avoir conscience, c'est toujours avoir conscience de. Et c'est précisément cette disposition à toujours être nécessairement ouvert au monde qui constitue le sentir comme fondement ontologique du Dasein, existential, comme fondement à la fois biologique et phénoménologique de sa constitution linguistique et des phénomènes qu'il re-présente. C'est à dire : la structure phénoménologique de LOM comme fondement de tout contenu phénoménal.
Il y a toujours médiation, différance, jeu de loignement et d'é-loignement. C'est ce jeu qu'il s'agit de dialectiser – historialement, mais aussi linguistiquement, raison pour laquelle nous parlons de dialogique – d'approprier pour ne pas le laisser nous dominer. S'y laisse alors comprendre une dialectique, plus authentiquement comprise comme dialogique, de l'activité et de la passivité.
Nous sentons, écrit encore B. Salignon, parce que quelque chose dont nous faisons partie est différent de notre corps propre mais aussi, parce qu'en même temps nous n'en faisons pas partie. Le risque auquel expose la difficulté de la subjectivation en tant qu'elle se doit à l'autre et au grand Autre, est de ne pas dialectiser cette première fonction proto-symbolique d'être avec et d'être en même temps coupé, nous dit Salignon, c'est à dire que s'y dévoile un échec de la capacité à intérioriser, accueillir la coupure Moi/Non- Moi en son cœur même, en nous-même : la dit-vision essentielle du sujet, division qui vient couper l'union c'est à dire la confusion originaire – dévoiler le Phallus comme manque, originairement manque-à-être.
Ce qui se déploie ainsi dans un temps possédant au moins deux dimensions – diachronique et synchronique
– part d'une union qui est con-fusion pour faire l'épreuve de la séparation comme mise à distance, permettant qu'ad-vienne la re-présentation et une com-préhension qui, faisant retour à soi en passant par l'autre, au fond toujours par l'Autre, ramenant l'ob-jet extériorisé et de nouveau confondu, dans sa représentation, avec une substance indépendante qu'il n'a jamais été. La dialectisation de cette différance originaire est nécessaire pour que, par l'assomption de son jeu comme celui de l'approchement-distanciation
–que le petit Hans re-joue, répète sous le syntagme fort-da – une subjectivité singulière puisse émerger, dans l'assomption de son étrang(èr)eté, c'est à dire de son asujetissement toujours déjà là à l'Autre mais aussi au corps vécu. Sur le fond, donc, de l'irréductibilité de l'eksistence au Moi ou Non-Moi, établissant la distance comme dialogique, entre les deux pôles fantasmés car impossibles, de la fusion et du désengagement. Au cœur de cette irréductibilité se dévoile la fonction proto-symbolique de la perception, ou plutôt de ce pour quoi elle fait symptôme : la sensation comme telle comme fonction et zone de passage.
Le $ujet ne vient pas au monde par la naissance biologique mais par son inscription, historiale et linguistique, dans une logique de la filiation, une institution symbolique par et dans l'Autre qui remonte, bien avant sa naissance, vers l'horizon d'une origine de la culture forcément perdue, manquante, puisque ce qui pourrait le dire devrait rendre compte de ce qui se situe nécessairement hors du champs de la diction. La venue au monde, qui se joue donc dès avant la naissance, passe encore par le développement des sensations durant la vie utérine, un éveil au monde qui se structure primairement sur le fondement d'un sentir et se développe dans sa multiplicité, laquelle devra être ensuite organisé par la fonction symbolique élaborée, le sens faisant alors retour sur les sens : retour réflexif déployé par la Raison discursive puis argumentative, qui est essentiellement une Raison dialogique, et donc dialectique.
L'on naît en sentant et l'on sent en naissant : naître, s'éveiller, c'est sentir, et cela ne se fait pas d'un coup mais il faut patiemment apprivoiser ses perceptions. C'est là le rôle du langage. Le nourrisson s'éveille progressivement au contact des autres, apprenant à distinguer, organiser, hiérarchiser ses perceptions, les signifier comme représentations, les mettant à distance, condition de leur rappel en l'absence de l'objet, et finalement de réfléchir et dialogiquement critiquer ses représentations : les conceptualiser. S'y joue un processus de dialectisation nécessaire à l'appropriation de soi, non un donné ainsi que le voulait Locke, mais un apprentissage, une visée autocompréhensive qui échappe à toute prétendue autofondation, la visée d'une
autonomie dialogique qui s'ob-jecte à l'objectivation d'une autocomplétude. C'est donc un processus qui se déploie dans un temps synchronique du Sentir à la réflexion du Sentir, et passe historiquement – du point de vue de l'histoire du $ujet du $ocial comme de celui de l'Histoire du social comme sujet de la dit-vision – par le déploiement d'une logique du sens qui part de la perception ou plutôt de la perceptivité, de la sensitivité fondant toute perception, et partant toute représentation, le langage et la subjectivité même.
« S'éveiller et sentir sont alors synonymes, la passivité des sensations n'est pas toujours une définition sans faille, cette passivité s'ouvre à une série de positions proto-subjectives que nous nommons après Maldiney, « transpassivité ». » (Salignon)
S'y découvre une dialectique de l'activité et de la passivité : il y a en effet toujours de l'une dans l'autre, et réciproquement. Fichte met ainsi en avant cette impossibilité de sortir de la circularité Moi-Non-Moi, qu'il nous faut assumer.
Tout sentir, dit Salignon, donnera naissance au ressentir d'une différence. Cette différence est d'abord vécue comme une violence – le cri du nourrisson vient déchirer l'apparente unité du corps-monde, du corps vécu d'abord sans limite, introduire de la distance : déjà, la perception veut se dire, exprime sa nature (proto)symbolique. Puis, à partir de cette déchirure originaire de l'être par lequel le $ujet vient au monde, se déploie l'apprentissage de la séparation – Winnicott en parle, décrivant l'institution du Soi (Self), entre Moi et Non-Moi. C'est encore ce que traduit la difficulté de faire avec la Castration symbolique, la perte du Phallus fantasmé comme totalité de l'être, adéquation du mot à la chose par laquelle la parole vide du sujet, ne pouvant s'assumer comme parole pleine sur le fond de son aliénation au discours, c'est à dire assumant de parler de sa propre voix autonome en tant que l'effet du Signifiant qu'elle est. L'angoisse de Castration répond à cette difficulté de faire avec la coupure qui est toujours une blessure narcissique, par laquelle le Soi doit s'endeuiller du Moi, et réciproquement : le Moi doit s'endeuiller de la possibilité d'un Le soi en effet échappe toujours au Moi mais ne se donne jamais qu'à travers lui. Il s'agit alors – et c'est ce que veut faire entendre l'Appel de l'Autre qui se donne dans le silence de l'Angoisse, pour peu que l'on vienne bien le recueillir, c'est à dire s'y reccueillir – de prendre pour soi ce devoir d'assumer la perte originaire du Phallus comme dit-vision essentielle, coupure ontologique de l'être compris comme eksistence – le $ujet de l'Autre.
Il faut qu'une telle déchirure de l'être passe au sein du corps vécu lui-même pour que celui-ci éprouvant ses limites puisse s'autonomiser, par suite l'esprit suit. La coupure est intériorisée à même le corps, et se manifeste déjà dans la perceptivité, cette frontière entre Moi et Non-Moi devant se com-prendre comme zone de passage, d'échanges avant de pouvoir être une clôture. Le $ujet qui se doit ainsi à l'autre se trouve placé devant le devoir – est-éthique – d'apprendre à choisir l'ouverture et la clôture, les degrés, l'équilibre changeant, toujours précaire, entre appartenance et séparation. Les stratégies névrotiques perverses, psychotiques, le refoulement, le déni, la forclusion sont autant de moyens mis en place par le sujet pour tenter de fuir sa perte et donc la possibilité de se re-trouver en l'Autre. Des tentatives de se défendre face à la difficulté d'assumer cette distanciation appropriante qui se déploie comme dialogique de l'appartenance et de la distanciation. 0u bien, comme dans la mélancolie, représentent les tentatives pour le sujet de rouvrir les possibilités d'être – d'eksister qu'avait facticement fermées le refus d'assumer la Castration. C'est à dire qu'il s'agit, toujours, de faire avec elle sans tomber dans le double écueil de la clôture radicale et de la fusion aliénante, qui se rejoignent dans la psychose.
La différence n'est donc ni première ni seconde : c'est la différance qui est première, et cela doit signifier qu'identification et séparation ne préexistent pas l'une à l'autre mais se donnent ensemble à partir d'un premier mouvement d'unité fantasmée qui se déchire. Ce qui préexiste ontologiquement, c'est la relation du Moi et du Non-Moi en tant que chacun trouve en l'autre son fondement, ce qui du point de vue chronologique ne peut que se superposer à leur survenue : apparaissant, ils apparaissent nécessairement en présence l'un de l'autre, à la fois s'ouvrant l'un à l'autre et résistant l'un à l'autre. Fichte parle ainsi de la résistance nécessaire du monde qui permet l'eksistence subjective comme effort pour résister à cette résistance.
Le structuralisme pose que c'est par cette différence que se donne la place dans la structure (familiale, sociale, linguistique), c'est à dire que se donne un sens (une orientation et une signification) à l'eksistence – le projet jeté qui a à assumer comme pro-jectivité, en prenant pour soi ce sens en tant qu'il se déploie de son
de-venir à com-prendre comme ad-venir sur le fond d'un retrait, à partir de la fin à approprier comme telle de l'être-pour-la-mort, vers son origine perdue, à approprier : le sens est toujours déjà impropre, mais il est toujours déjà là, se donne déjà dans le sentir le plus originaire.
« L'homme qui naît à l'existence a d'abord affaire au langage ; c'est une donnée. Il y est même pris dès avant sa naissance, n'a-t-il pas un état civil ? Oui, l'enfant à naître est déjà, de bout en bout, cerné dans ce hamac de langage qui le reçoit et en même temps l'emprisonne ». Ces mots sont comme on l'a dit de Lacan. Rousseau, quant à lui, propose que « exister pour nous c'est sentir ». Ce dont il parle doit se comprendre comme un sentir plus originaire que la sensation physique, laquelle ne peut survenir que sur le fondement d'une telle constitution sensitive avant que d'être sensorielle : un sentir essentiel à l'eksistence.
C'est encore ce que nous dit Maine de Biran, qui affirme la transcendance du sentir : la subjectivité, et le corps subjectif, ne peuvent se comprendre comme unités constituantes que si l'on les saisit comme toujours- déjà constituées, non comme une substance qui serait originairement posée là et ramènerait secondement le monde à elle, mais comme ce qui se constitue de cette aperception même, ainsi que nous le fait comprendre la sub-version phénoménologico-analytico-linguistique (analytique et herméneutique) du sujet. C'est aussi ce que dit M. Heny, qui renvoie à la réduction phénoménologique de Husserl : revenir « aux choses mêmes », à l'essence du perçu, ce n'est pas saisir quelque « chose » en soi mais isoler dans l'eksistence ce qui la fonde comme telle – le sentir comme tel, c'est à dire l'impossibilité de l'isolement radical.
« L'unité du corps vécu pour ce qui nous concerne n'a pas de sens, du moins si on considère que cette unité est un donné imanant au corps propre. Certaines psychoses et les diverses formes d'autismes démontrent le contraire: le corps ne se rassemble qu'après ce que la psychanalyse nomme la relève phallique. » (Salignon)
Le sentir est plus originaire que la réflexivité, laquelle se tient de lui : il faut que le nourrisson sente pour que s'articule ce que Lacan nomme le stade du miroir, et dont Zizek a bien montré la spécularité en abîme. Dans cette relation constituante de la réflexivité, le regard se retourne sur lui-même à travers celui de l'autre, le sentir passant par le sentir de l'autre peut s'éprouver lui-même et se com-prendre comme tel, lorsque observant dans les effets de l'action d'autrui l'influence de mes propres actions je sens que l'autre me sent sentir et eksprimer projectivement ce sentir. Se constitue alors une image de soi qui s'approprie par le regard de l'autre : l'institution du corps perçu dans la relation dialogique telle qu'elle présuppose toujours déjà le corps propre comme, avant-tout, sentir.
Le miroir que constitue l'autre n'est lui-même jamais une réflexion neutre : ne peut s'y constituer une relation spéculaire, réflexive, que pour autant que cette perception est toujours-déjà colorée par la constitution existentiale et le sentir de l'autre, son désir, ce que toujours-déjà il traduit des effets de l'Autre tels que sa structure m'assigne une place que je puis investir.
Y passe la division qui fonde une dit-vision de la subjectivité : que le regard passe par le regard de l'Autre traduit ce que jamais le sujet ne-coïncide avec lui-même, que toujours son identité se trouve sise en l'Autre, et que cette non-totalité du Soi fonde, par delà l'égologie factitielle du Moi, un sentir qui est toujours-déjà sentir de l'Autre et sentir de soi par le sentir de l'Autre. Ainsi, la sensation qui se sent elle-même ouvre toujours-déjà, en tant qu'elle implique une constitution transcendantale subvertie, qui ne soit pas la transcendance égologique d'une substance ramenant à elle d'autres substances, mais celle d'une subjectivité qui ne se tient que de son ouverture, à la relation d'altérité que toujours, elle présuppose.
La sensation qui se réfléchit et se découvre Sentir dans une telle relation dia-logique s'y confronte à son décentrement : ce que toujours sentant j'éprouve une distance entre le Moi qui se sent sentir et ce sentir que je suis (Fichte : moi posant / moi posé) : qu'il est impossible de passer de l'autre côté du miroir, parce que c'est cet engagement dans une telle dia-logique qui fonde l'eksistence subjective en tant que telle. Je n'eksiste, au sens où nous entendons phénoménologiquement et analytiquement ce terme, qu'en tant que je m'insère dans un tel jeu de miroirs qui traduit – proprement – ma constitution transcendantale, en un sens post-kantien : une constitution ontologico-existentiale communicationnelle et projective, historiale et dialogique, qui institue l'essence de la subjectivité comme ou dans l'ouverture à l'Autre et au monde (DaSein) – le Sentir en propre. Le sujet se trouve ainsi toujours déjà condamné à une différance que traduit
la sensation en tant qu'elle manifeste le sentir comme déploiement de ce jeu, de cette dialectique ou dialogique de l'approchement et de la distanciation, qui tient entre les deux impossibilités d'un désengagement radical et d'une fusion totalisante ouvert un espace transitionnel (Winnicott) dans lequel puisse se déployer comme eksistence. C'est à un tel effondrement de cet espace de JEu intersubjectif que nous assistons dans la psychose, par laquelle une telle différance appropriante échoue à se mettre en place, de sorte que le sujet se confonde avec le monde de son fantasme et de son Angoisse, ou hallucine sa mise en retrait radicale à fin de se préserver d'une telle aliénation radicale. S'y manifeste l'incapacité du Moi qui parle et sent de se com-prendre dia-logiquement comme Parlêtre et Sentir, d'approprier réflexivement sa constitution transcendantale, sensitive et linguistique avant que d'être sensorielle. Le sentir s'y laisse déborder et occulter par la sensation, qui vient faussement boucher un trou, la perte de soi qui fonde le sujet dans l'ouverture à l'Autre. L'occultation n'empêche pas la répétition – au contraire – mais l'occulte elle- même : le sentir se répète sans se renouveler, dans le rétrécissement des sensations possibles et plus largement des possibilités de se rapporter au monde (intro-jection : le sentir / pro-jection : l'ek-sister – qui sont l'envers et l'endroit se donnant ensemble d'une même pièce forcément duelle : le parlêtre).
« Ce qui pour tout enfant constitue son unité et ce par l'assomption de la perte au lieu de l'autre, unité dont le nom propre est le signifiant de sa mort comme résultant d'une division fondatrice. Pour Werner, la sensation est toujours séparée de la perception, les phénomènes du sentir sont associés aux expériences subjectives qui appartiennent à l'ordre vital somatique. La formule qu'il en donne: « On est soi-même couleurs et son » reste toujours d'actualité. Ce qui nous conduit à proposer que les sensations nous enforment alors que les perceptions nous offrent une communication avec le monde perçu. » (Salignon)
La sensation comme Sentir qui structure le sujet se donne ainsi, pour peu que l'on veuille bien y prêter l'oreille, dans toute perception par laquelle le sujet structure, largement par devers-lui, l'ambiance dont parle Heidegger : l'ambiance phénoménologique du monde tel qu'il se donne à lui et qui en est la coloration affective, une forme existentiale.
Bergson écrit, dans Les données immédiates de la conscience (page 37) : « On pourrait se demander si le plaisir et la douleur, au lieu d'exprimer ce qui se passe dans l'organisme, n'indiqueraient pas aussi ce qui va s'y produire et ce qui tend à s'y passer ». C'est que la sensation n'est pas une simple « médiation immédiate de l'immédiat », ainsi que tendrait à le laisser penser l'égologie cartésienne – l’Ego facticement constitué ramenant à lui de manière transparente les « choses du monde » qui seraient posées là devant lui comme autant de substances isolées. Tout au contraire, en elle se dévoile déjà une structure d'être-au-monde qui s'oriente, ainsi que le dit Heidegger, de l'à-venir vers le passé, et que manifeste le symptôme en tant qu'il traduit un manque et une tâche de signification, plus qu'il ne livrerait un sens déjà constitué. Ainsi, la sensation comme modalité existentielle du sentir qui fonde la constitution ontologico-existentiale du parlêtre indique déjà une certaine disposition, l'ouverture de certains possibles, certaines tendances, orientations de l'eksistence.
Ce que traduit alors la sensation, en tant qu'elle manifeste le sentir, c'est à la fois l'impossibilité de
« retrouver sa cause perdue » (Salignon), de se réfugier dans une autosuffisance et un désengagement, comme si l'on pouvait se retirer du monde et trouver un « Moi pur » qui ne se tiendrait d'aucun déterminismes ni linguistique ni social, ni ne se trouverait situé nulle part. Mais encore que se sentir se donne toujours, de par ce fait même, toujours selon des modalités déterminées par la situation historiale- existentiale du sujet, déterminé par le sens de ses engagements, choisis comme subis – en tant que ceux-ci réalisent toujours un engagement ontologico-existential nécessaire, une inaliénable aliénation, qu'il s'agit d'assumer pour le sujet cherchant dans la relation dialogique à s'instituer comme tel, dans le regard et la parole de l'autre qu'il institue réciproquement sujet – sujet du désir, sujet de l'énonciation, pris dans un jeu de réflexions infinies qu'il s'agit aussi de jouer soi-même.
La sensation n'est pas quelque reflet du monde qui se trouverait « à l'intérieur » du sujet mais bien au contraire marque l'impossibilité qu'il y ait une telle intériorité pure. Car la sensation traduit l'ouverture essentielle du sujet qu'est toujours déjà son eksistence comme telle. C'est à dire qu'elle doit nous faire comprendre que tout sentir est déjà orienté, que tout ce qui se donne dans la sensation se tient autant de
« l'extérieur » que de « l'intérieur », et finalement de l'impossibilité de les séparer radicalement. Car elle est
la liaison qui fait qu'ils apparaissent en se distanciant, par leur mise en présence dans leur différance, ainsi que Lévi-Strauss – qui n'emploie pas ce terme, derridéen et postérieur, de Différance – dans son opus, Le cru et le cuit).
Ainsi, les sens manifestent, plus que quelque constitution biologique de la sensation, un sentir comme sens : comme signification et orientation de l'eksistence qui puisse en se réfléchissant dans le sentir et l'agir de l'autre (deux faces d'une même pièce : l'être-là-avec) s'approprier et se redéfinir, dans une certaine mesure – c'est bien là le sens de l'analyse, qui se donne comme expérience de langage.
L'objectif s'y donne alors comme ob-jectal, et si le percevoir est un connaître (E. Straus), le sentir est bien un com-prendre. 0r, prendre avec soi le monde, c'est toujours aussi s'y laisser prendre – et réciproquement.
Bien avant qu'il puisse jouer le langage, l'enfant est déjà joué par lui ; et bien avant qu'il puisse sentir et réfléchir qu'il sent, il est déjà le jeu du sentir. Il y a déjà quelque chose qui se donne comme médiation et qui produit du sens, encore informe mais déjà orientant, pré-signifiant : un proto-langage qui ne se dit pas, ne se met pas en mots, mais met déjà en mouvement. Et cherche à s'ek-sprimer : dès sa venue au monde, l'enfant qui naît, toujours déjà dans le langage dit Lacan, mais aussi alors toujours-déjà constitué par le (comme) sentir, crie, eksprime quelque chose qui est de l'ordre de la signification, d'une médiation jamais neutre, en ce qu'elle constitue déjà, et toujours, une structure d'être-au-monde, une certaine configuration du rapport que tout sujet constitue d'emblée au monde, à autrui et à l'Autre. Ce bien avant de pouvoir approprier ce rapport et le dire. Le corps n'est jamais vierge : l'hymen existential est une perte, la coupure pour laquelle le nom qui y fait suture joue d'avantage le rôle d'un révélateur que de quelque chose qui bouche.
Cette perte, dit encore Salignon, « est peut-être la première qui ouvrira à d'autres pertes jusqu'à l'objet a que définit la théorie Lacanienne. Toutes ces pertes sont constitutives de l'inconnaissance de notre facticité, non que le sujet se constitue d'une diachronique perte comme substance restante mais qui se construit de l'impropriété fondatrice de l'impropre. » C'est cette structuration synchronique du sens à partir d'une coupure essentielle dont veut rendre la genèse statique deleuzienne.
Cette « paradoxale affectivité » dont parle Salignon « est déterminante dans son devenir autre et dans la « fabrique » du corps et chair. Ce qui signifie que le corps humain, corps de chair, est livré à l'impropre qui le négative une première fois, ce n'est que par la suite que cette négativité va se redoubler dans
son accession au symbolique. »
« Que la facticité soit indéfinissable dans son essence subjective, elle n'en est pas moins compréhensible comme partage en commun de notre être là ici et maintenant. Elle est non isolable d'un devenir qui donne accès à l'exister mais nous ne pouvons en parler uniquement que du coté de l'existence et de son devenir toujours fuyant, toujours fluant. » (Salignon)
« La facticité d'exister ne peut être qu'abstraitement isolée comme facticité pure d'exister, indépendamment de son contenu dans ce qui est à chaque fois la contingence d'une vie et d'un monde. » (Richir, Phantasia, imagination, affectivité, Ed Millon 2004 p.119)
L'engagement ontologico-existential comme tel qu'est le sentir en tant que tel ne se donne jamais qu'en s'abstrayant, ne se réalise jamais qu'en tant qu'il constitue un engagement ontico-existentiel, comme l'historialité du sujet ne se donne jamais que comme son historicité : que le sujet soit constitutivement engagé dans l'eksistence, signifie que toujours il est engagé dans la facticité aui à la fois la réalise et l'occulte, dans un engagement qui occulte l'Engagement. Des engagements particuliers qui sont les modalités contingentes et particulières sous lesquelles toujours se réalise l'Engagement universel.
La répétition ne joue jamais à partir de zéro, sans quoi elle ne pourrait jouer – puisque il n'y aurait rien à répéter. Il faut pour que se déploie l'eksister qu'il le fasse à partir d'une situation, de ce que toujours déjà le sujet sent quelque chose qui le détermine, l'oriente, est pour lui signifiant : qui fasse Sens.
La réflexion de la sensation est toujours seconde par rapport au sentir par lequel quelque réflexion peut s'établir. La permanence du Sentir se fait sentir dans la différance, la répétition jamais à l'identique des
sensations et du sens. Différance qui fait Structure, qui structure les expériences qui en diffèrent et s'y nouent, faisant que là où il y a des sensations peut s'édifier du sens qui, en un second temps logique, puisse, jamais tout à fait, y échapper – se pro-jeter. S'y fait alors sentir un « effet d'unifiance corporéisée » (Salignon). « Peut être parce que la répétition, pour être repérée comme telle dans son effet d'empreinte, doit toujours être accrochée à une référence hors d'elle-même. » (idem)
« Le sentir ne répond jamais à la question ''qu'est ce qu'un corps ?'' » mais tout à l'inverse y pose question. Sa question s'adresse, dit B. Salignon, « à ce qu'un corps peut faire dans les actes des sensations et surtout en présence du sentir. Le sentir tel que nous l'entendons donne dans sa découpe et son devenir entre, nous le répétons: satisfaction/insatisfaction, plaisir/déplaisir une matrice trop grégaire pour ne pas attendre une plus grande finesse d'analyse dans les moires multiples et les mutations successives du devenir des sensations. Ce que nous voulons comprendre c'est ce monde en étoile qui trouve ses principes très tôt dans la vie du nourrisson; plus tard les sensations vont prendre une autre dimension et le plaisir et les goûts vont succéder aux différences que nous avons posées au départ de la vie subjective.
Elles vont, pour le sujet, lui donner un corps rythmé par des intensités, des flux, des cascades tout autant que par des plages de calme, de solitude et de repos, bref de tout ce qui échappe à l'organisme dans ses déterminations physiologiques. Ainsi les contacts avec l'eau, le vent, le chaud, le froid perdent leur attribut pour devenir chair, présence, corps sans organe parce que prolongeant le sentir et le senti au delà du quantitatif et du qualitatif [de la sensation corporelle] comme immanence érotisée. » (Salignon)
Aux corps sans organes évoqués par Deleuze, Zizek ob-jecte les organes sans corps : la facticité déterminée qui ignore, s'occulte (Lethé) du Sentir subjectif qui la fonde. Il n'y a pas ici contradiction : l'organe sans corps est le symptôme de ce qui est alors son envers, de ce corps sans organes qui précède ontologiquement les perceptions biologiques, et qui est le corps propre, un corps vécu.
Les sensations se déploient entre deux différences, entre plaisir et déplaisir d'une part ; entre le sentir interne et le sentir externe d'autre part. Différences qui participent encore d'une différence entre l'activité et la passivité. Mais chacune de ces différences se double d'une interpénétration, ne peut s'établir que sur le fondement d'une irréductible interdépendance, de l'impossibilité d'isoler l'intérieur de l'extérieur, l'activité de la passivité, le plaisir du déplaisir. C'est ainsi plutôt, avec Derrida, de différance qu'il faudrait parler, pour caractériser ce jeu d'approchements et de distanciation par lequel la reconfiguration du sens, faisant varier la place vide, détermine des structures d'être-au-monde que traduisent les modalités du sentir. Comment dès- lors revenir sur le sentir originaire, alors même que le réfléchir est le perdre, et qu'il ne se donne jamais que sous des modalités phénoménales ? Cette tâche impossible s'approche dans certaines compositions artistiques, qui mettent en jeu les mouvements du corps et le sens de l'articulation telle qu'elle se déploie antérieurement à sa mise en mot. Mais là encore, la sensation ne peut se donner qu'en s'occultant sous les représentations qui la détermine, et qui toujours se doivent à l'Autre.
Mais si la différance s'occulte toujours sous ce qui diffère de ce qu'elle diffère, quelque chose peut se donner de l'ordre d'un écart, qui la traduit, avec tout ce qu'implique cette idée de traduction, en termes de glissements et d'interprétation, c'est à dire qui ajoute à la différance de la différance, introduit une césure entre la différance que l'on cherche à caractériser et celle par laquelle l'on caractérise.
La difficulté se fait alors jour de caractériser ce sentir qu'en sentant l'on dé-voile comme une AbSens fondatrice de ce que l'on peut sentir – qu'il puisse y avoir du Sens, parce qu'il n'y en a pas, et que ce pas-de- sens ne se donne jamais qu'en s'occultant de ce qu'il implique que l'on signifie. C'est à dire que toute représentation du sentir étant de l'ordre de l'Imaginaire, elle perd dans l'AbSens, ce que Lacan nomma d'abord « Réel », avant de dire que « le Réel, c'est le noeud » ce qui la fonde comme nouage de l'Imaginaire, du Réel ou de l'AbSens, et du Symbolique – quelque chose de l'ordre de la perte et de la reliaison, d'une re- présentation qui ne peut s'établir comme présentification que sur le fondement d'un manque, de ce que quelque chose s'absente pour nous à jamais. Le sentir se dévoile et s'occulte ainsi, dans un même mouvement, comme ce qui occulte en dévoilant, et permet que le Symbolique se structure de cette coupure qui diffère l'Imaginaire du Réel, ou sépare le Réel de lui-même, fonde l'inadéquation entre l'AbSens et sa re- présentation.
Que l'on fasse ainsi réflexivement retour, par le sens, sur les sens, à travers les sensations sur le sentir, signifie nécessairement que l'on en perde le sens – or c'est précisément ce mouvement par lequel quelque chose se dévoile en s'occultant, et se dévoile comme occultation en s'occultant comme dé-voilement, que l'on cherchera à appréhender comme sentir.
Le senti joue ainsi un rôle de symptôme de ce « sentir paradoxal » dont parle Salignon. La lecture des sens qui leur donne un sens et cherche à retrouver le sentir fonde sa possibilité même sur ce que le sens autorise une lecture du sentir, c'est à dire que le sentir autorise que l'on y fasse retour, et ce faisant que nécessairement – là est le paradoxe – on le perde.
Il s'agit ainsi de mettre au jour un effet d'écriture par lequel l'écriture se structure et structure l'être-au- monde du même coup, un nouage qui permette de faire retour, d'écrire l'écriture dans le registre de l'un de ces quelques choses qui se nouent de l'écriture. C'est à dire que cherchant à sentir le sentir, l'on sent bien que l'on ne sent pas tout, et que l'on sent surtout ce que le sentir procède du manque – ne peut se comprendre qu'à partir de la structure de la perte existentiale.
Le sentir se donnera à partir et au travers des sensations qui structurent la manière dont on sent, et dont on sentira que l'on sent. Sensations qui se déterminent du sentir comme engagement ontologico-existential, et de sa structure même tout autant des engagements contingents, ontico-existentiels qui le réalisent en une double genèse statique et dynamique. Par quoi se détermine une différance entre l'absence d'origine vécue comme perte et présence de la venue au monde, qui ouvre à ce que l'on puisse sentir une telle différence dans l'approchement et la fuite.
Le sentir s'articule ainsi autour d'une place imprenable » dont la mobilité conditionne les effets de structuration et de structure, les effets de sens, déterminant une chose imprenable – Das Ding – dont le nom
–la sensation – est l'impropre en tant qu'il manifeste authentiquement la facticité comme vérité de l'être : une suture qui en fait office de symptôme. Et permet l'émergence, à la croisée des regards, de l'objet a, cause du désir qui vient boucher ce manque, et ce faisant le reconduit. Celui-ci alors se tient autant de la structure ontologique du sentir que de ces sensations et du sens facticement prédonné dans lesquels celui-ci, précisément de par ce qu'il est sentir, opère toujours. Cette assignation sensorielle et signifiante du sentir comme sensitivité et signification s'établissant secondairement du point de vue de la genèse statique, de la synchronicité structurale, et dans le même temps du point de vue diachronique.
« Nous voyons dans un temps en suspend que ces oppositions ne sont pas encore aptes à comprendre in fine la dynamique des sensations et des ressentis. En effet l'exposé dialectique n'est pas encore assez fin ni précis pour nous permettre d'aller au fond des choses. Proposons que dans le déroulement que nous exposons il faut qu'au centre du plaisir et ,non pas en opposition, persiste une lunule de déplaisir et qu'au fond de la satisfaction perdure un noyau d'insatisfaction. Nous sortons là de la dialectique classique pour mettre à jour l'inclusion: une partie d'insatisfaction au sein de la satisfaction et son acceptation par le sujet sans résignation; condition postdialectique qui fait que le sujet accèdera au symbolique. Tout le bon ou uniquement le bon n'est jamais assimilable sans résidu, sans contrepartie; il persiste toujours une part d'insatisfaction au creux du plaisir, il n'y a pas de plaisir sans contrepartie de déplaisir. » (Salignon)
Le sentir oriente la vie pulsionnelle, c'est à dire assigne un sens au désir, depuis les deux sensations qui orientent la com-préhension comme incorporation du bon et re-jection, c'est à dire toujours aussi pro- jection, du mauvais hors du moi, de par ce fait jamais hors soi. Ces deux sensations ne structurent le $ujet et ne le re-lient au monde, c'est à dire à l'Autre et à l'autrui, que pour autant qu'il se trouve toujours déjà pris dans la temporalité : le sentir s'eksprime toujours dans la compulsion de répétition, comme re-sentir, car le sentir primordial doit nécessairement s'effacer pour laisser dans sa trace ou son emprunte en creux, la place au ressenti. Il s'agit toujours, en effet, du point de vue ontologico-existentiale, de la dialectique du garder et perdre, que le petit Hans cherche à s'approprier symboliquement en jouant le fort-da. L'incapacité du $ujet, du point de vue symbolique, c'est à dire du nouage, donc toujours déjà aussi du point de vue du Réel, à assurer en lui-même sa propre fondation et son auto-complétude, se double de l'impossibilité d'assurer en son corps propre la cause du déplaisir interne que constituent pour lui la faim et la soif. Rey-Flaud, dans
L'enfant qui s'est arrêté au seuil du langage (p.149), décrit le sein comme ce plein archaïque qui devra faire l'épreuve de la coupure telle qu'elle actualise sa perte toujours déjà là : le sein, « objet spécifique, apporte un apaisement provisoire de la tension désagréable et s'avoue en même temps incapable d'étancher la source du besoin, laquelle va, par la répétition de cette expérience d'échec créer chez le nourrisson un noyau inassimilable et hostile: le « reste étranger », « reste » parce que l'opération avoue qu'elle n'a pas réussi à éradiquer tout le mauvais; « étranger » parce que le sujet ne reconnaît pas comme sien, ce foyer douloureux en lui-même. Freud précisera les modalités de cette opération en indiquant que l'être parlant se constitue au temps originaire en une incorporation du bon et une expulsion du mauvais, ces deux actions étant accomplies comme fait de langage (ab et zuspreschen). ». A ce sujet, Salignon insiste sur ce que
« cette opération n'est pas, pour nous dialectique ,comme nous l'avons écrit, mais bien inclusive au sens où le mauvais n'est pas toujours [n'est jamais, dirons-nous plutôt] séparable du bon parce qu'il en est l'impropre donnant toute sa valeur au propre. Les sensations qui sont inaugurantes et augurantes de l'entrée au monde de l'enfant qui vient de naitre peuvent être ressenties comme venant vers lui du dehors et pour certains enfants autistes dramatiquement ces sensations l'emportent et le diluent hors de lui. »
« Il ne s'agit pas tant d'une relève signifiante et représentative faite par l'enfant grâce à l'objet transitionnel mais peut être de rentrer définitivement et initialement dans l'assomption de la perte, pour le dire autrement, l'objet transitionnel agencerait une perte (perte de la mère et perte plus tardive de l'objet transitionnel) et ainsi c'est de perte à perte, la mère et l'objet transitionnel que se noue le rapport du sujet au langage. Nous dirions que l'objet transitionnel représente en l'assumant, la perte de la mère, la perte de l'objet et la perte de soi. Le nourrisson part dans l'existence constitué par le manque d'objet substitutif à l'objet du manque. Ainsi pour ce qui nous concerne, l'advenue du sujet au langage est marquée par cette double négativité: perte de la mère et perte de l'objet transitionnel induisant l'enfant à prendre sur lui et en lui le manque radical qui le constitue et ce, grâce à l'effacement deux fois opérant, de la mère et de l'objet. » (Salignon)
L'historicité dans laquelle tout homme est pris doit renvoyer à une dimension plus large, l'historialité (cf la durée bergsonienne) comme temporalité phénoménologique : la dimension de projectivité historiale dans laquelle s'établit l'historicité de l'Homme. Pour le dire autrement : pour qu'il y ait Histoire, et une science de l'historicité, il faut que toujours-déjà l'eksistence soit historiale, ouvre une temporalité vécue, et largement intersubjectivement vécue, qui puisse faire l'objet d'un découpage « spatial », de l'objectivation d'une topologie du temps. Comme le sensoriel est ce par quoi se réalise toujours une sensitivité plus originaire : que le sujet sente signifie qu'il sente quelque chose, mais un quelque chose dont l'AbSens et cette relation signifiante ou présignifiante – lorsque non encore mise en mot par celui qui n'a pas accès au langage (le nourrisson, l'enfant autiste) – dévoile que, toujours aussi, cela signifie que de prime abord et à jamais l'eksistence du sujet s'ouvre primairement par un Sentir qui lui est essentiel, ontologiquement
C'est aussi ce qui doit inviter à comprendre l'historicité comme s'insérant dans une structure plus large, multidimensionnelle, un nouage se déployant dans une infinité de dimensions, dans laquelle s'ouvrent un espace et un temps vécus, mais encore peut se déployer la supra-historicité deleuzienne, une méta-historicité dans laquelle penser une genèse statique qui, partant de la Structure comme potentialité (virtuelle), par le déploiement de la différance, produit la Structure actuelle. La venue du sujet au langage doit ainsi se comprendre comme s'établissant historiquement à partir de la perte conjointe – de la mère, puis de l'objet transitionnel – à laquelle ouvrent ses sensations ; et sur un plan méta-historial comme le déploiement de la différance à partir d'un Sentir originaire qui ouvre à ce que diffèrent des sensations, s'opère une série de translations, de pertes et substitutions structurant ce nouage de l'Imaginaire, du Symbolique et du Réel (l'AbSens) que le sujet réel constitue toujours en tant qu'il réalise sous une forme particulière concrète la forme universelle du nouage dont Lacan finira par dire que c'est le Réel. Un effet d'écriture par lequel peut secondairement s'écrire réflexivement la structure du nœud faisant retour, dans le schéma, la représentation, dans l'Imaginaire. Cette écriture du Réel qui sépare et noue l'intérieur et l'extérieur se joue en un déploiement structural-dialectique à travers une double genèse, statique et dynamique, dans une temporalité qui excède l'historicité. Ce que nous nommons, faute de mieux – et c'est ce faute de mieux qui importe, plus que le nom qui y fait suture ou symptôme – dialogique
L'Histoire est ainsi ce lieu en lequel se recueille la vie, ou ce recueillement lui-même qui s'établit sur le fond d'un être-ouvert, d'un être-là-avec projectif – historial – essentiel au sujet, le caractérisant ontologico-
existentialement. Si l'Histoire est le lieu du recueillement, ou le processus de recueillement tel qu'il se déploie dans la succession des mutations sociales et des événements historiques, l'historialité comme telle, comme structure existentiale, dimension ontologique, est ce par quoi il peut y avoir recueillement, ce qui fait lieu, fait qu'il y ait des espaces qui s'ouvrent, dans des dimensions spatiales, temporelle, mais encore symboliques, affectives... Une topologie de l'Inconscient dont Freud a posé les bases et que développera magistralement Lacan. C'est à dire un être-ouvert essentiel, la compréhension existentiale du Dasein comme ouverture ou trouée de l'être : qu'un Sentir ontologique ouvre un espace dans lequel l'étant puisse se présenter sous des modalités – non seulement – sensorielles ; car le Sentir est plus large que les sensations, qui sont du point de vue de la genèse dynamique, historique, ce par quoi se déploie primitivement la différance, le jeu d'approchement et de distanciation, là où passe et s'inscrit dans le corps qu'elle marque une coupure initiant le cri du nourrisson, jeté alors à l'eksistence sur le mode de la perte qui, par une série d'opérations linguistiques, métaphores et métonymiques, fera entrer l'enfant dans le langage, incluera le sujet dans la structure des différences – le Symbolique. C'est à dire se réalisera l'entrée du sujet dans la Culture, le déploiement d'un espace transitionnel, dans un temps historique et à partir de l'inscription du sujet dans une genèse statique qui dans l'espace du Sentir structure le nouage du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique. Ce par quoi il puisse y avoir langage. Car qu'il y ait nœud, cela ne peut se faire que si l'eksistence s'ouvre sur le fondement d'un Sentir originaire, et se déploie comme étant elle-même ce nouage, dans lequel s'ouvrent les dimensions vécues, et pour certaines objectivées.
C'est pourquoi, à toute science de l'Histoire, nécessairement quelque chose échappe, la projectivité essentielle de l'Homme qui comme dimension historiale fonde son historicité se perd dans se retour de l'historialité ontologique sur les formes contingentes par lesquelles se déploie en elle l'historicité de l'Homme et des sociétés.
« En définissant ainsi l'histoire, nous ne faisons que donner un nom à l'articulation entre le vivre- ensemble et la civilisation au présent, articulation qui n'est jamais réductible à la nomination et à la détermination historique de l'histoire, elle ne cesse au cours des âges de se différencier et de multiplier ces modalités de jugement et d'évaluation.
L'histoire, telle que nous la pensons dans son déploiement diachronique et synchronique, rend compte davantage de nos moyens mis en œuvre pour décrire et penser la simultanéité de l'étirement et de l'enchainement des faits. Elle est donc un surcodage, qui, paradoxalement, fait partie de l'ensemble qu'elle décrit, mais, à la différence de la théorie quantique, elle reste muette sur sa position car les fascinations de son objet ne sont que rarement questionnées. » (B. Salignon)
« Par la mise au fait de l'histoire, nous entendons le mode et le genre à chaque fois, de la manifestation dans laquelle une époque se tient dans l'histoire et tient l'histoire de telle manière que cette « manifesteté » contribue à porter et à conduire l'être historial d'une époque. » (Heidegger, La logique comme question en quête de la pleine naissance du langage, Gallimard p. 113) »
C'est ce que disent Popper et Bachelard : comprendre ainsi l'historialité de l'Homme, ce n'est pas renoncer à l'Histoire, mais comprendre que de cette historialité, tout retour s'établissant dans l'historicité, toute compréhension de l'Histoire s'établissant à partir d'une position historique et sur le fond d'une perte existentiale, toujours, nécessairement, quelque chose, comme toujours, ne peut qu'échapper. Le travail de l'Histoire est autant un travail sur l'Histoire qu'un travail par l'Histoire (Gadamer).
Comment, alors, rendre compte historiquement de ce qui nécessairement échappe à l'Histoire en tant que celle-ci s'y inscrit – c'est à dire, comment rendre compte en l'écrivant de ce par quoi s'écrit l'Histoire : l'historialité comme structure ontologico-existentiale du parlêtre ? Bernard Salignon donne quelques éléments de réponse :
« Comment rendre compte historiquement du désaisissement inhérent à un événement quelconque qui frappe un sujet ou une communauté, sinon rétrodictivement par son envers, le saisissement qui arraisonne cet événement et lui fait ainsi perdre tout son caractère de hasard, de chance, d'aléas, de surprise et de rencontre? L'histoire esquive le face à face spontané de la rencontre, elle lui substitue l'idée d'une donation passive parce qu'on n'intervient jamais sur le passé alors que la vie vivante avance dans l'inconnu qui la devance et qui constitue dans ses formes à venir l'avenir.
Cette avancée devançante échappe toujours à l'histoire et deviendra après-coup dans le futur, qui lui, échappe à toute analyse, l'objet fabriqué de l'histoire. Paradoxe étrange puisque l'objet et les nouveaux objets de l'histoire sont posés derrière, en amont, plutôt que devant, là où l'évènement surgit. Paradoxe qui peut s'écrire ainsi: faire face à ce qui s'est dérobé ou faire face à ce qui est derrière nous, toujours déjà plus là. » (B. Salignon)
L'historial, en effet, ne se réduit jamais à l'historique – c'est pourquoi le sens du symptôme se détermine dans une temporalité allant de l'à-venir vers le passé : il y a une histoire de l'Histoire qui ne peut s'écrire parce qu'elle est ce qui nous y inscrit. Bracque écrit que c'est « l'imprévisible qui crée l'évènement ». Ce à quoi Heidegger ajoute : « revenir en arrière à ce qui est de plus en plus passé est une tendance que renforce celle qui consiste à chercher la cause ». C'est dire que l'explication de l'Histoire fait toujours suture ou symptôme pour la béance qui s'ouvre sous l'enchainement des causes, cette brèche du temps dans lequel s'engouffre le travail de l'Histoire. L'Histoire s'y dit comprise, alors que c'est elle qui nous com-prend, par laquelle se comprend LOM en échappant à son explication, parce que le mouvement même d'une telle com- préhension est celui de son échappée hors de lui. « C'est la plus grande erreur de croire qu'on comprenne l'histoire sur la base d'enchainement de cause et que l’on puisse jamais la comprendre ainsi », nous dit Salignon.
L'historique n'est pas l'historial, ainsi que nous le donne à comprendre Bergson : le découpage spatial du temps mathématique occulte la durée comme temporalité vécue, plus originaire. De-même, la perspective explicatrice à la fois soutient, occulte et se tient d'un être-compréhensif plus originaire, qui perdu de vue ne permet pas de comprendre comment l'Histoire fait sens : qu'il y ait un sens de l'Histoire, non comme un destin tout tracé mais comme une destination à approprier collectivement, une destination ou un destin au sens heideggerien, dont l'assomption constitue la com-préhension, c'est à dire la saisie phénoménologique de ce que l'Histoire se vit et ne se comprend jamais que de son envers.
Essayons alors de mieux cerner l'historial dans la brèche qu'il ouvre dans et au fondement de l'historicité. Heidegger écrit que l'expérience de l'historialité de l'homme consiste en ce que « nous sommes déterminés, c'est à dire disposés de part en part, à chaque moment par une disposition affective. » La projectivité qui s'ouvre sur le fond du Sentir est la condition historiale et communicationnelle, déjà linguistique avant que de se dire, dans laquelle se déploie l'historicité qui s'étudie comme un objet linéaire. S'y perd de vue ce que l'historicité s'inscrit dans une méta-historialité, et une historialité non comme temps linéaire mais comme projectivité existentiale, pro-jectivité du Dasein d'abord facticement jeté à l'eksistence, qui fait qu'il puisse y avoir Histoire : que Dasein s'inscrive dans l'Histoire, cela signifie toujours qu'il est déjà lui-même historiale, l'ouverture d'un temps, d'un espace et de dimensions symboliques, affectives... la trouée de l'être.
La question que pose le sens du contact est la suivante : « Très rapidement, l'entrée au monde est scellée dans une tenue du corps persistante. [...] Il faut comprendre que toute naissance s'accomplit dans l'inachevé. Le bébé est appelé à regarder, vers ce qui d'elle revient vers lui mais part en même temps à l'infini comme si déjà l'autre est tout autre. » (Salignon) Fichte écrit, à ce sujet, que « [l]'activité pure du moi revenant toujours sur elle-même est en rapport avec un objet possible, un effort et un effort infini, pas d'effort, pas d'objet ». 0r l'effort par lequel est permise l'action de l'Homme n'est possible que parce qu'un monde lui résiste, et qu'il résiste à cette résistance. Cette résistance fondatrice de la praxis se donne primairement dans la sensation.
« Le contact ne va pas de soi car ce n'est pas la totalité du corps qui ressent à travers la zone touchée et la sensation induite, quand une partie du corps est en contact d'une partie du corps de l'autre, on saisit immédiatement que ce n'est pas la main de l'autre qui se détache et qui se ballade et qui caresse mais que c'est l'autre, qui avec sa main, nous rencontre. Et sa main est sienne, et mon corps est mien. La mère présentifie et amène le corps dans sa complétude dispersée mais non dispersante autour de quoi, le petit enfant se rassemble. Le contact ne va pas de soi mais de l'autre, plus tard toucher une table, un objet inanimé n'est jamais équivalent ni identique à toucher et à être touché par une autre personne, peut-être parce que l'entrée au dehors avec ce qu'elle contient de paradoxal, dès l'expulsion est sous l'empreinte de la présence de la mère et de son corps. C'est d'elle, par elle, et avec elle que le nourrisson rentre dans ce contact/échange qui vient
immédiatement après le détachement du placenta et la coupure du cordon ombilicale. Ces premiers contacts suivent la voie régrédiente imposée par ces coupures; être coupé, être en contact comme premier rythme qui donne un premier aperçu de tout échange mais aussi parce que le contact avec autrui plus tard supposera une réversibilité de l'attention, un échange qui englobe et transcende le ressenti. Ce que tout sujet ressent, dans et par le contact avec l'autre, dépasse la sensation en acte pour se prolonger dans ce double aller/retour de l'inflexion, qui, à la fois, traverse et fait bord. Toucher c'est entrer, toucher c'est perdre. Il est donc logique dans un premier temps d'accepter cette effraction et dans un second temps d'y trouver un plaisir qu'on suppose ou présuppose partagé au sens étymologique, de trouver sa part. » (Salignon)
Il est logique, aussi, d'y résister, mais il faut qu'une dialectique se mette en place entre ma résistance et celle du monde, et les approchements qu'elles permettent, l'espace transitionnel, d'échange qui s'y ouvre.
Ponge écrit que « la nature est chaos, matière épaisse, chaos nourricier » ; et Nietzsche d'ajouter, dans Le gai savoir : « le caractère du monde est [...] celui d'un chaos éternel ». Salignon précise cette idée : « Entre les sensations et le chaos, se noue et se dénoue une des figures possibles du devenir des sensations et de l'émotion qu'elle provoque ».Le chaos perceptif dont parlent les empiristes ne se donne jamais que déjà pris dans la Gestalt, mis en forme par la Raison, qui est largement celle de l'Inconscient, l'économie pulsionnelle – la Raison de l'Autre, ou logique du Signifiant. Lacan le dit : le Réel, c'est le nœud. Le Réel est ce qui se noue, dans lequel le Signifiant fait coupure et qu'il articule entre AbSens et Imaginaire. Le sujet, c'est comment ça se noue, une manière chaque fois singulière de répéter la forme universelle, existentiale, du nouage – de réitérer la différance (Derrida).
« L'homme est d'emblée en tant qu'il est corps existant, affecté, parce que jeté au milieu des étant et des humains. » écrit encore Salignon. L'être-là que toujours est l'Homme est toujours déjà un être-là-avec.
« C'est assurément parmi les autres et dans le rapport que tout sujet entretient avec eux que la psychanalyse ancre le statut de l'être affecté; ces autres sont inaugurés par la place du grand Autre primordial, à la fois la mère et le lieu du langage » écrit Salignon, reprenant l'idée heideggerienne d'une essentielle « facticité du fait contraignant l'homme de prendre lui-même son être en charge ».
« Cette expression « lui-même » demande à être explicité: en tant que tel, l'homme dans l'enfance et dès sa naissance ne peut que recevoir de l'Autre son mode d'avoir à être et ce, à tous les niveaux; nous avons situé le senti et les sensations ressenties comme premières stimmung qui expose et détermine chacun à perdurer dans son être et à se maintenir dans le flux du sentir, ainsi la facticité prend la forme d'une exclusion du réel, exclusion qui n'est pas sans rapport avec ce qu'Heidegger appelle « l 'être jeté ». » (Salignon)
Jeté à l'eksistence, Dasein se trouve ancré au Réel en en étant expulsé, fonde la venue en présence sur son retrait, la perte, le manque – la Castration dont l'assomption, comme étant celle de la pro-jectivité du projet- jeté, peut fonder une subjectivité.
« Persiste donc au fond de l'analyse du philosophe, une idée qui infiltre son texte, c'est l'extrême solitude de l'être. On a l'impression que pour lui, l'homme évolue au sein du monde pris dans un double pathos qui réduirait son ouverture sans rencontrer, soit le visage en présence de l'autre, soit le monde accueillant qui est supposé border le petit enfant. Cette double stimmung, imprégnée de romantisme, le plonge dans un sentiment de déréliction, il apparaît que cette définition de la facticité pour Heidegger participe de notre compréhension de l'autisme plutôt que du sujet dit normal. » (Salignon)
Il y a en effet une équivoque dans l'idée heidegerienne de la mienneté dévoilée sous la tyrannie du 0n, ou recueillie dans son arrachement. Mais l'on ne doit pas oublier que pour Heidegger, l'assomption de Soi ne peut se faire que sur le fondement de celle de la facticité et de l'assujetissement à ce que les herméneuticiens appelleront le Sens, Lacan l'Autre, et qui s'incarnera chez Ricoeur dans le texte et la rencontre de l'autre ; et avec Levinas, se donnera dans l'expérience du Visage d'autrui.
L'Autre se présente de prime abord et depuis toujours sous la figure du même : c'est la mère qui, selon l'expression courante, « met au monde » l'enfant – c'est à dire, au sens étymologique celui qui, n'ayant pas encore pu intérioriser la coupure, est l'infans : celui qui n'a pas parole. Celui-ci, en effet, provient historiquement de ce même dont il fait partie, mais qui dès le détachement et la coupure du
cordon « s'altérise ». 0r une telle génération biologique par ce même qu'est le sein occulte ce que « le bios n'est pas toujours ce lieu où s'avère la différence déterminante dans la facticité de l'être » (Salignon). C'est à dire que ce qui fait s$ujet, c'est avant tout la coupure en tant qu'elle investit le même. Celle-ci n'advient en effet que dans la dialectique du même et de l'autre, de ce que le parlêtre s'inscrit, plus que dans la génération biologique, dans la filiation et donc l'institution symbolique, qui le transcende puisque il y prend place avant même que d'être né et a à assumer cette place pour la codéterminer, accepter du être joué et ainsi pouvoir lui aussi en jouer, jouer avec autrui, participer à la dia-logique – puisque c'est ainsi qu'il nous faut finalement comprendre ce qui se joue dans la genèse historique en tant qu'elle s'inscrit elle-même dans une genèse structurale.
Ce premier contenant qu'est la mère doit assumer la phase suivante de se faire le miroir unifiant, qui suppose la coupure – ce pourquoi Winnicott oppose la nécessité d'une « good enough mother » à l'idée d'une Good mother de Dolto, qui accueillerait sans retrait.
La mère, pour rassembler le corps de l'enfant autour des sensations et des affects ressentis, doit primairement les prendre avec elles et les soutenir, mais par suite il faut qu'elle passe de contenante à accueillante, c'est à dire opère un retrait par lequel quelque chose puisse ad-venir sur le fond d'un rien, de sorte que les sensations puissent s'y différencier et le sens se subjectiver.
Il s'agit, dit B. Salignon, de « rassembler ce qui est posé devant, accueillir, recueillir tout autant que porter à la parole, parole qui est avant tout écoute avant d'être profération. C'est ainsi que peut être repensé la place de l'Autre qui permet à l'enfant d'entrer dans l'échange et d'en être à la fois, et l'effet et la cause, nouant ainsi sur son corps et avec celui-ci le regard, la voix, le contact, la caresse. C'est dans ce moment de vie que le bébé advient au monde du sentir et donc, pour nous, au monde. Les regards croisés entre lui et la mère ne sont pas équivalents: celui de la mère entoure l'enfant et le rassemble; celui de l'enfant ne voit rien, il n'en gardera aucune trace mnésique, regard aveugle comme condition du voir avenir. Il est à souligner que Heidegger ne porte aucun intérêt à l'entrée de l'homme dans la vie, le philosophe ne s'intéresse pas à ce mode d'être initial. »
C'est dire que doit être repensée la notion même d'identité, non plus comme l'identité facticement close de l'étant fantasmé comme substantiel – con-fondu avec son objectivation – mais comme celle, ouverte, qui s'esquisse à présent comme un chemin d'exil, nous menant vers l'horizon in-fini de l'autrui. L'identité d'un tel sujet qui s'ob-jecte à son objectivation, dont l'ipsité est une tâche pour soi-même toujours sise en l'Autre, se profile dans la répétition, et, ajoute Salignon, « se joue dans l'écart du répété et non dans la répétition elle-même ».
« Personne n'échappe à soi-même, ce qui ne signifie pas que certains n'essaient pas de trouver une adéquation sans faille. Comme si la quête de l'identité se résolvait à ne faire qu'un avec soi-même. A contrario, la non coïncidence de soi à soi, autre nom du langage, est la condition de toute existence humaine. Alors peut-on dire sans faillir que la permanence est la constitution constituante de l'être (dont la forme quasi idéale serait l'autiste) qui semble ne jamais s'échapper hors de lui-même. Opposer tout ceci à l'être comme devenir autre de lui-même dans un écart, écartant toujours plus, qui empêcherait que l'identité soit identifiable à une permanence hors temps de l'un. Alors pour le dire autrement, nous écrirons que chacun s'échappe de lui-même et ce n'est que dans la construction infinie de soi que toute personne chiffonne son existence faite de plis, de déplis, de surplis et de replis qui donnent à l'étoffe du sujet ses gammes, ses tons moirés mais qui laissent intacte la trame qui le constitue. » (Salignon)
Héraclite le disait déjà : « rhétoricien, maître des mots menteurs ». L'Autre en effet, le langage occulte ce qu'il re-présente, et occulte ou fait oublier (Lethé) cette occultation. Le double effacement de ce qui se re- présente linguistiquement, et déjà primairement dans la sensation qui, toutefois, n'achève pas ce mouvement par lequel l'Homme s'arrache par un ancrage symbolique à la quasi-immédiateté de la vie animale – ce
double effacement par le langage et de l'acte linguistique lui-même opère dans le refoulement existentiel, et se retourne contre la subjectivité et l'objet absent de son désir dans la perversion fétichiste ou la dissociation psychotique. Le langage, dit Salignon, donne accès au sans accès de la vérité. Le scandale de la représentation est une duperie partagé par chaque un – en tant que précisément il s'y occulte comme pas-tout
–comme expérience du non savoir qui fait du « Connais-toi toi-même » socratique la question centrale tout en la décentrant, c'est à dire en posant l'impossibilité de sa réponse comme seule réponse possible, et en la situant en l'Autre. C'est pourquoi la psychanalyse ne peut être, comme l'énoncera Lacan, qu'une
« escroquerie qui tombe juste ». Si elle tombe juste, c'est qu'elle dit quelque chose du dire, permet que soit pro-noncée ce qui ne peut s'énoncer, savoir cette vérité de la non-vérité, que Heidegger a compris comme assomption ou « appropriation authentique de l'inauthentique ». « Parler n'a trait à la réalité des choses que commercialement » disait encore Mallarmé.
« Le parler, la parole qu'initialement l'enfant appète lorsqu'il traverse dans un premier temps le gazouillis dont on dit qu'il s'adresse aux anges et le babillage viennent dans la trace de la perte ressentie par l'expulsion des objets internes. Cette perte n'est pas suffisante à expliquer le gazouillis et le babillage mais la voix qui gazouille et qui babille, non articulée comme le langage, fait partie des premières initiatives de l'appétence dont nous parlions plus haut. Nous savons par expérience que certains enfants autistes, ni ne gazouillent, ni ne babillent, comme pour retenir ce qui pourrait être le signe de leur perte. Ceci est à mettre en relation avec le fait que certains autistes, plus tard, dans leur vie, donnent le sens d'une expérience terrifiante, à savoir que lorsque le sein quitte la bouche, il emporterait avec lui, après le contact, la bouche elle-même. […] La langue parle dans ses emplois diachroniques des mots, cette parole qui parle dans la langue ne peut, bien entendue, pas être prise comme vérité unifiante, mais au contraire, elle libère le sens dans son être multiple. Nous choisissons de parcourir ces données langagières comme autant de panneaux indicateurs qui selon leur nature ne dérivent jamais avec la direction qu'ils indiquent.
[…] C'est dans l'entrecroisement des dérives multiples, des croisements intempestifs que nous relions et séparons la faille et la faute, la falsification et la défaillance comme si la langue se parlait elle-même à elle-même pour ensuite sortir d'elle-même. C'est bien cette sortie qui nous intéresse parce qu'elle ouvre la fenêtre de l'interprétation de type analytique et ontologique en opposition à une interprétation historiciste et herméneutique. » (Salignon)
– 0pposition que cherchent à dépasser, chacun à sa manière, Lacan et Derrida (que cherchera à synthétiser Deleuze) : la différance comme conciliation de la différence structurale et de la genèse dialectique → dialogique
« Recommençons par le commencement, tel qu'il nous est donné dans l'ancien testament, dont une version propose la table des lois brisée dictée à Moise par celui qui, au delà des noms propres, parce qu'impropre à nommer le maitre de la langue, parle; il parle à Moise, qui sous cette dictée écrit mais une partie des lois échappe à l'écriture. Il en est de même dans la mythologie grecque quand les muses dictent à Hésiode la naissance des Dieux. Voici les premiers mots qu'elles adressèrent au poète: « Pâtres, gités aux champs, tristes opprobres de la terre qui n'êtes rien que ventres, nous savons conter des mensonges identiques aux réalités; mais nous savons aussi, lorsque nous le voulons, proclamer des vérités. » Celui qui parle ou celle qui parle n'a pas de figure, il parle la parole par le souffle qui met au dehors ce dont il parle mais, il parle à quelqu'un, un humain qui recueille en les inscrivant ses paroles. Paradigme de ce qui est au fond perdu, comme cause de l'écriture dans la parole soufflée. Une fois la loi écrite, la parole qu'il dicte efface dans son dicte le dicteur. Dieu effacé, infiniment retiréderrière son dire; ou bien est ce que la loi, le pacte qui emporte Dieu dans son énoncé? La table cassée, à jamais perdu, irréparable, fait que Dieu et la loi ne font qu'un. » (Salignon)
Il s'agit ainsi d'une absence normative, fondant une est-éthique de l'eksistence : l'AbSens enjoignant à la signification, aux glissements dialogiques des effets de structure. C'est à dire dont la vérité est appropriation authentique de l'inauthentique, la clairière. L'on ne sort pas de la caverne, mais l'on se peut com-prendre les jeux de lumière qui animent nos propres ombres sur sa paroie, la lumière qui révèle en occultant et ne se donne jamais en elle-même. C'est pourquoi le mythe est toujours porteur d'une vérité herméneutique.
« La loi dans ce chapitre de l'exode de l'ancien testament est donnée comme pacte d'alliance et de transcription de la parole du « seigneur ». Cette transcription n'est pas originaire, pas plus que la parole des muses. La table de la loi originaire, nous dit le texte, fut une première fois détruite par Moise. Cette destruction, beaucoup plus radicale que la parole des muses qui oscille entre vérité et mensonge signifie entre autre que le texte, dit premier, est tombé dans la perte qui devient l'origine comme place trouée du texte disparu à jamais. Le second texte ,supposé par certains être la copie du texte chu, vient signifier en deçà du sens, le sens même de tout écrit dans sa forme symbolique. Comment comprendre cette mise en scène du pacte en le dégageant de son récit imaginaire sinon en proposant que toute écriture fondatrice présuppose l'effacement initial comme condition de son geste et comme sa possibilité même; les raisons invoquées dans l'exode ne font partie que de l'habillement du texte et de sa façon de le faire venir par nous dans la lecture et par la lecture. Cet effacement qui fait disparaître le texte dans sa supposée signification renforce le pouvoir de l'écriture dans sa forme-même. » (Salignon)
Que toute écriture soit traduction signifie que ce qui s'écrit comme acte d'écrire dans l'acte d'écriture ne peut qu'occulter ce que non seulement elle perd son objet, mais encore ce que s'occulte que l'écriture est un effet de perte, de glissement. L'ob-jet dont on parle est un trou dans le Réel, le produit d'une coupure signifiante : une place vide dont la mobilité permet que jouent autour les pièces d'un puzzle dont il ne manque aucune pièce, puisque ilk se constitue du manque. C'est dire que ce qui s'écrit comme Réel n'est jamais ce par quoi s'écrit le Réel – ou plutôt, ce Réel qui est écriture, effet de nouage.
« Cet effacement ne dit pas le non sens ni le hors sens mais plutôt l'ab-sens dont parle Lacan. Cet effacement met au rencart la négativité et son histoire. Elle libère le sens vers son ab-sens parce que l'absence est la condition inconditionnelle du sens. Elle actualise le virtuel de toute écriture dans son avancée mais c'est un virtuel particulier dont la vertu serait l'abolition et non la valeur potentielle; c'est en cela qu'elle noue la facticité de l'être à son origine impossible à nommer. Cette facticité indémontrable s'adonne à une indécidabilité de toute parole prise par tout sujet. Parler est sans pourquoi. » (Salignon)
Marquant l'impossibilité fondatrice du langage – au sens freudien, réapproprié par Lacan, Salignon écrit :
« Qu'il faille, en insistant sur l'étymologie latine fallere, qu'un texte, dit initial, soit effacé pour que le texte premier, c'est à dire second, soit écrit n'est pas sans effet, ni sans cause, surtout si celle-ci est inconnue, elle persistera tout de même, reconnue comme inconnue. Ce texte blanc, c'est là que résident les lois du langage, un roc à jamais inexplicable; inexplicable, car il faut supposer un support qui recueille, annule et abolit par là-même toute trace, une khora vierge. » C'est pourquoi, si Lacan remarque avec justesse qu'une lettre atteint toujours sa destination (il dit, son destinataire), Derrida qui ne voit pas ce qu'il entend par là a quant à lui raison d'y objecter qu'aussi nécessairement, une lettre manque toujours son destinataire. C'est que pour Lacan, le destinataire est toujours une destination, une place vide dans le Signifiant prenable, par laquelle la lettre assigne, comme un effet d'écriture, des effets de structure, de sens, des places dans l'ordre symbolique et donc dans le Réel. 0r l'inverse n'est pas vraie : toute destination n'est pas un destinataire, et quand bien même celui-ci serait atteint, il sera tout autant manqué, puisque jamais la lettre ne sera par lui reçue « telle quelle », « en tant que telle », « comme telle », c'est à dire, comme elle a été écrite. Il y a toujours, dans tout effet d'écriture, de sens, c'est à dire dans toute vie sociale, au fondement même de la Culture, une ambiguïté fondamentale, une inadéquation essentielle, un malentendu fondateur, nécessaire – des effets de traduction.
« [c]ette analyse n'est pas sans rencontrer de manière subjective, certaine volonté de néant que décrivent certains enfants autistes avec bien sûr sa contrepartie de terreur. Si Dieu avait écrit sur la table la loi lui-même alors les hommes seraient devenus fous. La folie frapperait de fait, les sujets, de par l'adresse en forme d'injonction 5 du texte. Il n'y aurait plus aucune lecture possible et la loi échapperait à l'interprétation et la transgression. C'est ce que signifie aussi l'entrée en matière du propos des muses. La croyance serait remplacée par la certitude absolue, la loi dans son existence ferait de Dieu un être fini, limité dans son retrait, pris dans les filets du langage. En effet, on est, selon les tables de la loi, amené à supposer historiquement parlant que l'auteur est Dieu mais on ne peut éviter la présence de Moïse comme celui qui transcrit mais dont une partie est manquante: ce
qui n'est pas sans évoquer le falsus que nous avons déjà repéré comme faille, défaut inhérents à l'incomplétude du symbolique. » (Salignon)
Nous le disions : le Réel par quoi s'écrit, sous l'effet du Symbolique, qu'il y a du Réel, excédera toujours ce qui s'inscrit ainsi du Réel dans le registre de l'Imaginaire. La sensation comme telle, en tant qu'elle ouvre au sentir au delà des sensations, ou plutôt en deçà d'elles en tant qu'elles s'en sous-tiennent, esquisse déjà ce nouage qui ne pourra qu'en suite se re-nouer, c'est à dire faire sur lui-même retour et re-lier l'Humanité dans l'espace transitionnel de la culture dont parle Winnicott. En ce sens, les sensations font symptôme pour le Sentir, et donc déjà dé-voilent en l'occultant ce fondement de lalangue qu'est le corps propre en tant qu'il s'y dit-joint – c'est à dire ne s'identifie par à son explication bio-logique, mais tout au contraire ouvre la possibilité de sa com-préhension. Si lalangue est ce qui fait s(tr)u(c)ture du Réel, c'est que toujours déjà la sensation y fait coupure. C'est à dire que cette dernière, l'antécédence structurale du Sentir, est ce qui primairement coupe le Réel, sans encore lui donner possibilité d'y faire retour, de la symboliser, mais fondant nécessairement cette possibilité d'un second temps logique, d'une re-présentation linguistique. La sensation inscrit primitivement l'Homme dans le Réel et donc le manque ou la perte, y laisse une première trace qui puisse, en un second moment historial et non historique, s'écrire comme tel.
De ce qu'il s'en com-prend – c'est déjà Ça – que l'on con-vienne qu'il y ait toujours mes prises, qu'est ce Qui- s'en-donne – qu'est ce Qui-s'y-noue – c'est à dire aussi : qu'est ce qu'on y perd, où ce là au père, qu'est ce Qui- sans-tien ? Sinon ce là, qu'à vrai-dire nous op-posons sans dire vrai, que ce dont il s'agit, cette question est éthique, ce là va sans dire, que c'est par quoi s'écrie. Car : qu'est-ce, à lors-que, ce qui ici fait sujet, si tenté qu'il y en est un – ce n'est certes pas pour rien, mais ce là n'est pas tout, si quelque chose y fait symptôme – car pour au temps qu'il n'est qu'écrit vain, c'est qu'il n'y peut lettre – en somme : qu'est ce Qui-s'y-joue ? 0u avec cette idée, que d'insue j'ai m'y dit de son étrange erreté ; de son insu-que-sait – précisé ment – qu'est ce qui-s'en-vient, de cet insu que c'est ? C'est à dire : qu'est-ce don ? Que ce Qui fait sujet ou qu'ici dit tel, au lieu de l'Autre, c'est à dire qu'il en tient lieu, de l'autre – il en est, si l'on peut dire, le déchet, de son être jeté, dont il se peut faire le pro jet ; s'y sub-jective de ce qu'il peut ob-jecter de l'huis à ce qu'il en ob-jecti-vise, précisément qu'elle ouvre ou close, cette jection, œuvrant tout ce qui s'en sub-jecti-vise en sa dit vision – le soi disant sujet ? Ce d'on-t-il s'agit, qui fait s(tr)u(c)ture du $ujet, ceux là qu'ici main tient en sa différance : ce Là se sous-tient de ce si qu'il soutient : ce ci qui s'y mes-dits de l'autre, par oui dire, de ce qui s'en des dits pour le temps qui l'y passe, de sorte que s'il s'en taire en l'Autre, qu'il puisse si des terrés s'en leurrent, pour peu qu'il s'en sous vienne, lui soit peau cible qu'il s'en mêle.
Cochon qui s'en dénie.
LHG, 2014