A la lettre ! Lacan & Derrida, histoire d'un malentendu
Désaffiliation et retrait de l’activité : se désengager pour rester engagé ?
La constitution de l'Europe :
la critique habermasienne de la construction européenne analysée au prisme de la théorie de la Reconnaissance
L ' « immigré » : une catégorie d’analyse pertinente ?
Quelle utilité peut revêtir un tel concept pour les sciences sociales ?
Un genre de différence : de la coupure et du Réel, des ordres symboliques et de la différence imaginaire.
Pourquoi la théorie du Genre ne manque pas la différance sexuelle
(sur le statut ontologique des rapports de domination)
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éthique, morales et moralité
Je vais évoquer ici deux concepts qui structurent et polarisent la réflexion morale et politique moderne et contemporaine : celui du Respect, et celui de la Solidarité. J'essaierai de montrer en quoi la liaison qu'Emmanuel Kant met au jour, via celui d'Autonomie, entre le premier et celui de liberté, est insuffisante pour penser le lien social, et qu'il faut en appeler au second. Pour se faire, j ...
La mélancolie ou l’éclosion de Soi dans le deuil du Moi : qu'objecter à l'objet ? Du meurtre à la naissance du sujet – pour une éthique de la perte. - Croyance et vérité en psychanalyse - Que peuvent nous apprendre de la condition de l'être-humain, les thématiques – liées – du travail de deuil et de l'angoisse mélancolique ? Freud nous dit, en un premier temps, que le travail du deuil – dont nous verrons qu'il est, comme l'est le travail de l'Histoire pour le sujet de la division, tout autant un travail sur le deuil qu'un travail par le deuil – concerne l'inscription de la relation d'objet dans la perte de l'objet aimé, de l'objet du désir. Dans le deuil, en effet, l'objet du désir, investi par la libido, est perdu : être aimé disparu ; amour pour une fiancée que l'on abandonne, ou à l'inverse la personne qui nous quitte ; mais encore un objet inanimé que l'on a investi affectivement. Investissement libidinal qui se trouve désormais sans objet et doit être déchargé, mais cela n'étant jamais possible, il faut alors détourner, c'est à dire réinvestir la libido : travail douloureux de changement de position libidinale, à laquelle le sujet peut résister jusque à ressusciter hallucinatoire-ment, psychotiquement la personne ou l'objet perdu – c'est à dire toujours le sujet de son désir que celui-ci ne peut plus atteindre, saisir, com-prendre. Le deuil apparaît ainsi comme une « activité de compromis », la tâche douloureuse et forcément déstabilisante – puisque traduisant un réagencement de la structure d'être-au-monde, en tant que celle-ci est toujours linguistique – d'un travail de désinvestissement-réinvestissement difficile à mener. La perte de l'objet du désir, personne aimée ou plus largement objet investi par la libido, impose au sujet de le désinvestir, de retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet. Le psychisme évidemment s'y rebelle – « on peut observer d’une façon générale, dit J.-D. Causse, que l’homme n’abandonne pas volontiers une position libidinale même lorsqu’un substitut lui fait déjà signe. » Le deuil est une tâche, dit Freud, « accomplie en détail, avec une grande dépense de temps et d’énergie d’investissement, et, pendant ce temps, l’existence de l’objet perdu se poursuit psychiquement. Chacun des souvenirs, chacun des espoirs par lesquels la libido était liée à l’objet est mis sur le métier, surinvesti et le détachement de la libido est accompli sur lui. » « Pourquoi cette activité de compromis, où s’accomplit en détail le commandement de la réalité, est- elle si extraordinairement douloureuse ? Il est difficile de l’expliquer sur des bases économiques. Il est remarquable que ce déplaisir de la douleur nous semble aller de soi. Mais le fait est que le moi après avoir achevé le travail du deuil redevient libre et sans inhibitions. » 0r, la difficulté qui se pose dans une telle compréhension du travail de deuil, est que l'objet, d'une certaine manière est toujours déjà perdu. Plus précisément, il apparaît comme toujours-déjà imprenable puisque il recouvre l'objet-a – il en fait symptôme – qui est, dit Lacan, le nom d'une perte. La description que donne Freud de la mélancolie, qui rejoint celle qu'en donne le phénoménologue, éclaire cette problématique :
« L’identité malheureuse », titre Alain Finkielkraut... Si ce court texte porte le titre inverse, c’est d’abord parce qu’il entend amorcer une réponse au dernier ouvrage commis par un intellectuel dont on se demande jusque où il creusera sa propre tombe idéologique. C’est aussi parce que la question qu’il s’agit ici de poser est celle de l’envers du discours de Mr Finkielkraut - ou de ses soubassements métaphysiques, épistémiques et anthropologiques : que recouvre, au juste, son concept d’identité ? 0u, comme dirait le vieux Badiou : de quoi Finkielkraut est-il le nom ? Si l’identité défendue par Alain Finkielkraut est une identité malheureuse, c’est avant tout qu’elle est une identité close, repliée, recroquevillée sur elle-même, vivant dans la peur de l’autre. Mais Alain Finkielkraut semble avoir oublié ce que nous ont appris ceux qui furent pourtant ses maîtres, au premier rang desquels Ricoeur et Levinas : l’identité dépérit lorsqu’elle se referme sur elle-même. Elle ne se déploie qu’en se vivant à plusieurs. Elle se nourrit de la relation d’altérité, s’enrichit de l’autre, et ainsi dépasse les étroites limites qui lui étaient données – et qui, déjà, l’étaient par autrui : l’environnement familial et social immédiat, l'épistémè, la structure du discours dans lequel, toujours l'Homme vient. Aucun sujet ne se développe seul, toute réflexion se mène à deux, est par définition spéculaire. Ce qui ne se dépasse pas en s’enrichissant d’un apport extérieur se rabougrit et, ainsi que l'écrivait Debord, périt, à l'image de la pensée de Finkielkraut.
Freud publie Totem & Tabou en 1913, à une époque où le positivisme est érigé en modèle d'une science dans laquelle le père de la Psychanalyse entend inscrire cette jeune discipline. D'emblée, il présente ce récit des origines comme la description historicisante de l'entrée des premiers hommes dans la culture. Nous connaissons la trame de l'histoire : une horde primitive dirigée par un Père tout puissant, premier patriarche, instituant non institué qui ne connaît d'autre Loi que celle de son désir1, à laquelle il soumet l'ensemble du clan – les jeunes mâles de la horde, donc, décident de faire alliance (communauté) pour déposséder le Père de son pouvoir, le tuent et, incapables d'assumer leur geste, renoncent à partager ce pouvoir sans pour autant briser l'Alliance, refoulent ce meurtre du Père fondateur et érigent un Totem, signifiant originaire2, en représentant la toute-puissance fantasmée et rappelant, métaphoriquement, le parricide devenu tabou, la disparition de cette première divinité et la culpabilité d'y avoir pris part ne pouvant être acceptées. Les hommes entrent ainsi dans la culture et la re-ligion (religere : relier) par un acte double : le meurtre du Père, et le renoncement à son pouvoir – qui prend la forme d'un refoulement, le totem faisant signe, symptôme, du tabou, ce qui ne s'écrira pas dans la culture, la chaîne mémorielle. Ainsi, la communauté nouvelle peut faire société. De cet "oubli" d'un signifié indicible surgit en effet l'organisation signifiante de la culture. L'humanité accède à elle-même en mettant à mort le fantasme de sa toute-puissance, selon un schéma qui n'est pas sans rappeler les théories contractualistes qui font de la renonciation à une liberté absolue l'acte fondateur du Social, avec deux différences majeures. D'abord, il ne s'agit pas ici d'un choix rationnel de limiter sa liberté pour en préserver la possibilité au sein d'un espace collectif, mais d'un désir de toute-puissance qui, ne pouvant être assumé en sa conclusion la plus dramatique – la mise à mort de celui qui a engendré les meurtriers – est refoulé – l'entrée dans la culture procède donc d'un fait de l'Inconscient. En outre, Freud semble présenter le récit comme un fait historique, alors que les contractualistes insistent sur le caractère fictionnel de leurs théories, qui ont pour but de démontrer la légitimité du point de vue de la Raison des principes du droit : si les individus étaient placés, à n'importe quelle époque et quelque soit le lieu3, devant l'alternative d'une entrée dans la culture ou d'un maintien de l'état de Nature (ou d'un retour à la Nature, si le choix se posait alors que la société a déjà été instituée), ils n'accepteraient d'instituer ou de maintenir la société qu'en vertu d'un choix rationnel (et tout à fait conscient), mettant au jour les principes qui leur fourniraient s'ils étaient institués un avantage en termes de liberté par rapport à la situation qui prévaut à l'état naturel. Les théories contractualistes qui se présentent comme des récits historiques sont donc en réalité généralement des constructions anhistoriques visant à mettre au jour la rationalité du droit (positif voire situé, diront les mauvaises langues), afin de démontrer l'intérêt d'une forme juridique ou d'une autre pour un individu rationnel, sinon raisonnable, quand le récit présenté dans Totem & Tabou entend présenter les faits qui, historiquement, auraient marqué l'entrée de l'humanité dans la culture, faits qui trouvent leur sens non dans une rationalité économique – en termes d'utilité calculée, comme dans l'hypothèse contractualiste – mais uniquement du point de vue de l'Inconscient - c'est à dire de l'économie pulsionnelle. Qu'en dit Lacan ? Un peu plus d'un demi-siècle plus tard, le successeur autant décrié qu'admiré de Freud écrit ceci : « C’est tout de même pas parce que je prêche le retour à Freud, que je ne peux pas dire que Totem et Tabou, c’est tordu. C’est même pour ça qu’il faut retourner à Freud : c’est pour s’apercevoir que, si c’est tordu comme ça, étant donné que c’était quand même un gars qui savait écrire et penser, ça devait avoir une raison d’être. » – Lacan, Séminaire XVII. L'envers de la Psychanalyse (version non publiée), séance du 11 Mars 1970. Lacan considère le récit présenté dans Totem et Tabou comme « tordu » : historiquement, cela ne tient pas la route, les événements ne se sont pas déroulés comme cela ; d'ailleurs, si c'était le cas, comment pourrait-on le savoir puisque par définition, un tel prélude à la culture ne serait relaté nulle-part – sinon métaphoriquement, à travers les traces qu'il y aurait laissé ? En effet, il serait antérieur à l'écriture, à l'Histoire, au langage... et ne serait donc rapporté nulle-part tel qu'il s'est déroulé. En conséquence, un tel récit ne peut s'inscrire dans le registre de l'Histoire, ainsi que le voulait Freud, mais uniquement dans celui du mythe, c'est à dire du Symbolique – l’histoire d’une réalité qui n’appartient pas à une temporalité chronologique. Freud lui-même présente d'ailleurs ce texte comme un « mythe scientifique », une « fantaisie ». Est-ce à dire qu'il ne serait porteur d'aucune vérité ni ne posséderait la moindre actualité ? Voyons ce qu'écrit Lacan immédiatement après la citation que nous venons de fournir : « Je ne vais pas ajouter « Moïse et le monothéisme n’en parlons pas », parce qu’au contraire, on va en parler. » Si Lacan prend la peine de parler des mythes religieux – et il en parlera à de nombreuses reprises dans l'ensemble de son œuvre – c'est que de tels récits, pour autant qu'ils ne sont porteurs d'aucune vérité historique (ou de peu), ont bel et bien quelque chose à nous apprendre. Ricoeur n'enseigne-t-il pas que les œuvres du passé conservent toujours une vérité herméneutique, qui se donne dans le rapport singulier qu'entretient avec elles un lecteur d'après le cadre d'interprétation que fournit le contexte de sa lecture ? Que peut donc bien nous apprendre la lecture de Totem & Tabou, aujourd'hui ?
Principes, fondements, conditions et enjeux d'une éthique contemporaine. La Solidarité comme principe d'Autonomie, entre liberté et déterminismes - éthique contre morale : le problème de l'aliénation et la religion contemporaine Note : Cet article a été initialement publié sur le site de l'Institut d'Ethique Contemporaine. Nous en produisons ici une version remaniée. Télécharger l'article au format pdf L'humanité doit faire face aujourd'hui au plus grand défi moral auquel elle ait jamais été confrontée, écrit K.0. Apel : depuis les origines de l'Homme, l'homo-sapiens court après l'homo-faber, et les développements exponentiels de la technique ne sont plus régulés par une éthique dont le déploiement souffre d'un profond retard à l'égard des autres domaines de la connaissance humaine. Il en résulte que la technologie est mise au service de l'exploitation de l'homme par l'homme, au service des puissants, alors qu'elle pourrait être instrument d'émancipation au service des classes populaires et des populations défavorisées, ici comme ailleurs. Partout, et de plus en plus, l'exigence de justice se fait criante. Justice civile, juridique, mais aussi justice sociale. Justice institutionnelle, politique et économique, mais encore justice dans les rapports interindividuels quotidiens. La morale du « chacun pour soi, tous contre tous » et de la course effrénée au profit, l'immodération des désirs prônée par l'idéologie néolibérale, le culte de la puissance et de la non-maîtrise de soi, freinent le développement de l'autonomie individuelle et collective qui seule permet l'émergence de la réflexion et de la conduite éthique. A l'heure où les comportements inciviques se multiplient à tous les niveaux de la société, et où il apparaît de plus en plus que les fondements mêmes de nos rapports économiques et sociaux vont dans le sens du conflit généralisé et de l'égoïsme narcissique et pervers, du « tout pour soi, contre les autres », la question de l'éthique n'a jamais paru aussi cruciale. Cette question est plurielle : Quelle est la source de la norme ? Quelle est sa forme ? Quel est son contenu ? Quel est son champ d'application ? Quelles raisons avons-nous d'adopter une conduite éthique ? Enfin, comment appliquer les principes de l'éthique dans les sociétés historiquement déterminées qui sont les nôtres, et quels sont les obstacles à surmonter pour y parvenir ? Tels sont les enjeux du problème auquel nous essaierons d'apporter quelques éléments de réponse, notamment en revenant sur la distinction essentielle entre la morale répressive historiquement déterminée et la réflexion éthique sur les normes de la coexistence. Nous verrons quelles réponses peut apporter la notion kantienne d'autonomie à la question de l'agir libre avec les autres dans un monde déterminé, mais aussi comment, après les vives critiques qui lui ont été portées par les sciences humaines et sociales et la philosophie contemporaine, comprendre la loi d'autonomie, non plus comme principe négatif de respect mais comme norme positive de solidarité, et quelles répercussions cela devra avoir dans les domaines juridique, politique et économique.